Combat du dragon rouge

Un faux mouvement et tu es mort.

Tu sens le métal froid sur ton cou, qui glisse le long de ta carotide palpitante.

Tu savais que c’était une mauvaise idée au moment où tu as accepté l’argent.

Pourtant, Bu Cong Ming l’avait fait aussi…

D’un coup, le couteau disparaît, mais tes mains continuent de trembler.

Ton esprit commence à perdre la tête.

Tu pressens que les griffes du Parti vont s’abattre sur toi et tu sais ce qui menace les fonctionnaires corrompus.

Tu dois te débarrasser de l’argent le plus vite possible. Ton fils…

Cela fait longtemps que tu souhaites le voir intégrer un internat suisse.

Un diplôme suisse est un tremplin pour une carrière fulgurante…

A ce moment-là, tu penses soudain au reportage sur les enfants de paysans chinois dans l’arrière-pays.

Le couteau imaginaire se plante dans ta tête.

Ils sont désespérément pauvres, ils n’ont même pas de quoi s’acheter un téléphone portable.

Avec cet argent, tu pourrais leur donner une chance d’avoir une vie meilleure… mais ton fils devrait continuer à souffrir de l’impitoyable système éducatif local et ta retraite serait en berne.

L’enquêtrice te regarde froidement.

“Et maintenant, qu’en est-il de votre frère jumeau?”

Tu te demandes pourquoi tu as été assez stupide pour te mettre volontairement dans l’embarrassituation problématique, embarras, détresse.

Était-ce la jalousie d’avoir soudain l’argent pour envoyer son rejeton gâté en Suisse? Ou la honte de la corruption qui entache désormais votre nom?

Tu ne veux pas perdre la face.

Dénoncer ton frère aidera le Parti dans sa lutte contre la corruption.

Si tu gardes le silence, l’enquêtrice pourrait éventuellement encore remarquer la Rolexmontre de marque coûteuse à ton poignet…

Mais c’est toujours ton frère jumeau dont tu es si proche!

La fondue au fromage végétalienne. Un rituel hebdomadaire depuis que toute ta parenté s’est réfugiée en Suisse.

Malgré leur ntolérance au lactoseallergie aux produits laitiers, ils veulent s’intégrer. Car une expulsion serait catastrophique.

La Chine s’enfonce dans le marais de la corruption, le Parti a des comptes à régler avec ta famille.

Là encore, les pots-de-vinargent pour corrompre quelqu'un; dt.:Schmiergelder permettent d’obtenir des résultats, mais ils sont coûteux.

Ton salaire d’employé de banque est certes élevé, mais il ne suffit pas à subvenir aux besoins de ta famille.

Et puis, il y a aussi le problème des comptes non officiels dont tu t’occupes…

Chaque jour, tu gères pour des dictateurs l’argent qu’ils ont volé à leur État et tu aides des managers bien nantis à frauder le fisc.

Dans le même temps, plusieurs pays sont menacés de faillite de l’État, ce qui pousse de nombreuses personnes à se battre pour survivre.

Tu pourrais faire pression sur ta banque pour qu’elle te paie pour ton silence.

Tu aurais alors l’argent nécessaire pour acheter un droit de séjour à ta famille.

D’un autre côté, tu ne veux plus faire partie de ce système pervers.

En même temps, tu sais que tu te mets toi-même en danger.

Tu regardes fixement les Alpes et le lac de montagne d’un bleu profond. La nature te semble froide et impitoyable.

Tu ne souhaites rien d’autre que de pouvoir retourner en Chine. Mais là-bas, il règne une situation de guerre civile.

Le Parti n’a rien pu faire contre la corruption galopante, l’économie s’est effondrée, la population en a eu assez.

Le pire, c’est que ton fils a disparu sans laisser de traces depuis qu’il a eu cet entretien avec son chef.

Pourtant, ton fils était confiant, il allait rentrer à la maison avec une augmentation de salaire!

Tu as demandé plusieurs fois des explications, mais la banque fait mine de ne rien savoir. Depuis, le couteau imaginaire est à nouveau sur ta gorge.

Avec ton frère, tu cultives désormais du fromage végétalien pour vous aider à joindre les deux bouts. Tu détestes l’odeur, mais les Suisses adorent ça.

Au moins, le travail te distrait. Du couteau qui t’accompagne en permanence.

Et de la pensée que le corps de ton fils flotte peut-être au fond du lac de montagne.

Parfois, tu es un peu en colère contre ce que ton fils t’a fait subir.

En tant que lanceur d’alertepersonne qui rend public des abus sur son lieu de travail, il a fait tomber la puissante banque, terni la réputation immaculée de la Suisse et aidé d’autres Etats à récupérer leur argent.

Mais à quel prix?

Bien, l’honneur de la famille est sauvé.

En échange, vous vivez maintenant incognitoen secret, caché du public dans une minuscule cabane et vous vous nourrissez de fromage végétalien que vous avez fait pousser vous-même.

Vous espérez que le tueur à gages que la banque mécontent a lancé à vos trousses ne vous trouvera pas.

C’est vraiment comme ça que tu voulais que ça se termine, en envoyant ton fils en Suisse?

L’eau chaude et humide coule sur ton corps.

Tu frottes énergiquement pour faire disparaître l’odeur de fromage. De la pop chinoise retentit quelque part.

En sortant de la douche, tu vois le cafard.

Tu penses à ton oncle.

Après qu’ils aient emprisonné ton père, il n’y avait plus d’argent pour payer tes études en Suisse.

La seule chose que tu as pu emporter de là-bas, c’est une recette secrète de fromage de montagne végétalien.

Maintenant, tu survis en vendant de la raclette végétalienne.

Pas vraiment typique d’un fils de cadre supérieur du partimembre important d'un parti.

Tu penses que ton oncle a inventé ces accusations de corruption pour s’emparer de l’argent de ton père.

Il vit dans une villa où il met à l’abri sa richesse, qui t’appartient en fait, tandis que ton père est harcelé de la pire manière qui soit en prison.

Tu ne l’as pas vu depuis des années. Mais tu n’as pas assez d’argent pour le racheter.

Un faux mouvement et tu es mort.

Tout cela te rappelle une terrible impression de déjà-vusituation dans laquelle tu as l'impression d'avoir déjà été . Mais le couteau n’est pas imaginaire.

Tu t’attendais à beaucoup de choses lorsque tu t’es introduit dans la villa de ton frère – sauf à ce que quelqu’un t’y attende déjà.

Ses yeux noirs te dévorent. Comment cela a-t-il pu arriver?

Tu es sorti de prison il y a moins de deux semaines, et maintenant tout doit s’arrêter?

Pourtant, ton plan était béton: pendant que ton frère est à Pékin, piller sa fortune, puis partir en Suisse rejoindre ton fils.

Tu ressembles à une copie conforme de ton frère jumeau, les agents de sécurité n’ont pas eu de soupçons quand tu t’es promené dans la maison…

La pression de la lame contre ton cou s’intensifie.

“Vous êtes Monsieur Wang?”, siffle la femme.

Lentement, tu acquiesces. L’instant d’après, elle te poignarde.

Lorsque ton fils entre dans ta cellule, tu pleures de bonheur.

Tu es incroyablement fier de lui. Les manifestations qu’il a organisées se sont rapidement transformées en manifestations de masse.

Il ne s’est pas laissé intimider par les menaces du parti et a continué à manifester.

Le Parti a ignoré les manifestants, mais en secret, les conditions de détention se sont progressivement améliorées.

Tes tortionnairesdt.: Peiniger, Folterer ont disparu et tu as pu déposer une demande de libération conditionnelle.

“J’ai une bonne nouvelle!”, dit ton fils à ce moment-là.

“Le directeur de la prison a accepté ta demande de libération conditionnelle. Dans quelques jours, tu seras libéré de prison”.

Grâce à ta générosité avec les paysans de montagne, tu as gagné la confiance de la population.

Le Parti a décidé d’abandonner l’enquête à ton sujet et a emprisonné Cong Ming Bu à la place.

Coup de chance pour toi. Tu as gravi les échelons et tu es désormais responsable du développement des énergies renouvelables.

Les services secrets chinois font état de troubles chez les Ouïghoursgroupe ethnique vivant dans l'ancien Turkestan (qui fait aujourd'hui partie de la Chine).

Ils ne voient pas d’un bon œil ton projet de construction d’un tracé à travers les régions agricoles.

Pourtant, tu leur as déjà accordé des formations gratuites et de petites compensations pour leur déplacement.

Apparemment, ils menacent d’entraver les travaux de construction par des actes terroristes.

Pourtant, ce tracé est extrêmement important, car il doit permettre d’acheminer l’électricité renouvelable du désert chinois directement vers l’Europe.

A long terme, la région en profiterait énormément, la croissance économique explosive arriverait enfin ici aussi et même le climat serait préservé.

“Pékin veut ce tracé, un point c’est tout”, dit ton chef.

“Et surtout pas d’autres attentats terroristes! Agissez fermement, s’il le faut, pour résoudre ce problème ouïghour”.

Tu es au bord du fleuve Jaune et tu regrettes de t’être laissé entraîner dans une conversation par ce Suisse au ventre plein de bière.

“Mais qu’est-ce que vous avez contre la ligne verte de votre gouvernement?”, demande-t-il naïvement.

“Introduire le commerce des certificats de CO2 était une idée à la noix”, réponds-tu.

“Cela va freiner notre croissance!”

“Il y a encore beaucoup trop de pauvreté ici. Le seul moyen de la vaincre est une croissance rapide”, expliques-tu avec impatience.

“À quoi cela sert-il d’acheminer de l’énergie verte vers l’Europe alors que les gens ici ont froid en hiver parce qu’ils ne peuvent plus payer l’électricité?”

Il rétorque quelque chose.

Quand un cadre du partimembre important d'un parti a eu l’idée de te financer des études, tu as saisi cette opportunité pour fuir la pauvreté abjecte de ton village.

Grâce à ton excellent diplôme, tu as réussi à te hisser à la tête d’une grande centrale à charbon.

Mais un nouveau tracé a été construit et depuis, les énergies renouvelables sont en plein boom.

“En plus, dis-tu, le parti étouffe toute résistance en son sein. Regardez ce qui s’est passé avec les Ouïghours. Est-ce cela que vous voulez? La protection du climat au lieu des droits de l’homme?”

“Je travaille pour une organisation de défense des droits de l’homme”, dit-il sèchement, puis sourit soudain.

“Vous me semblez être une personne intelligente! Si vous voulez nous rejoindre…”

Tu penses à ton rendez-vous imminent avec le politicien responsable du commerce des certificats de CO2.

En fait, tu voulais le convaincre avec des “incitations financières” pour sauver ton groupe et ta réputation de manager.

Ce que le Suisse te propose, en revanche, c’est un travail dangereux, mais qui a l’air intéressant.

Pékin a beau faire des efforts, la politique verte ne s’impose tout simplement pas.

Partout, les fonctionnaires se laissent corrompre pour obtenir des exceptions pour les grands groupes.

La corruption fleurit jusque dans les plus hautes sphères du parti.

Dans les rues d’Ürümqi se pressent des gens qui ont dû déménager en ville à cause de la construction de la ligne électrique.

Ils sont en colère, car entre-temps, le tracé n’est même plus utilisé.

Comme cela ne fonctionne pas dans son propre pays, Pékin veut faire pression sur l’UE pour qu’elle fasse davantage pour la protection du climat.

Tu es fatigué des éternels allers-retours.

Pendant que les politiciens se disputent, la population locale ressent déjà les effets du changement climatique.

La région fertile est désormais trop sèche pour la culture des fruits.

L’économie est à l’arrêt, la population est au bord de la révolterévolte/protestation contre les conditions existantes.

Tu as fait de ton mieux, mais cela n’a pas suffi.

Quelque chose se prépare à l’horizon qui ne te plaît pas.

La transformation verte est réussie.

Les panneaux solaires scintillent sur les toits des immeubles, des courgettes et des tomates ont été plantées sur les murs extérieurs du siège du parti de telle sorte que l’on croit reconnaître de loin le drapeau chinois.

Du moins jusqu’à avant-hier.

Une organisation dirigée par un Suisse insolent et une dissidente insolente a pillé le jardin vertical dans le cadre d’une “action de protestation”, a organisé un barbecue ouvert avec les légumes et a incité la population à porter plainte collectivement contre la prétendue “dictature écologique” et les violations des droits de l’homme.

Malheureusement, les mauvais traitements infligés aux Ouïghours ont souvent fait la une de la presse étrangère, il n’est donc pas question cette fois de bâillonner l’organisation…

La répression t’apparaissait autrefois comme une solution nécessaire aux problèmes récalcitrantstrès difficiles.

Mais entre-temps, la Chine est devenue une grande puissance reconnue dans le monde entier et qui veut être respectée – il est peut-être temps d’adopter un ton plus conciliant.

Des jeunes sur la place Tian An Men. Le bon Deng se serait retourné dans sa tombe.

Cette fois-ci, ils protestent pour la protection du climat.

Ils se plaignent que la transformation verte est trop lente.

Que le tracé qui doit faire circuler l’énergie verte entre la Chine et l’Europe n’a toujours pas été construit.

Tu as même financé les études de quelques-uns de ces porte-parole des années auparavant.

C’est comme ça que tu les remercies? Où est le respect pour l’ancienne génération, pour la tradition?

L’affaire du tracé va se retourner contre toi de manière négative, certains rivaux du parti n’attendent qu’une occasion pour prendre ta place tant convoitée.

Tu dois faire quelque chose.

Tes talents de négociateur avec les Ouïghours t’ont valu une bonne presse.

Ton chef a été destitué et tu as pu continuer à gravir les échelons jusqu’au cercle le plus élevé du parti.

Mais ton intuition te dit que les négociations risquent d’être inefficaces cette fois-ci.

Céder, c’est montrer sa faiblesse. Ce serait le début de la fin du parti communiste.

Le contrôle de la situation pourrait échapper au parti.

Que feront un milliard de personnes qui auront le sentiment que personne ne peut plus les contrôler?

Cette idée te fait frémir. En même temps, tu veux éviter la mauvaise presse à l’étranger. Beaucoup trop d’organisations étrangères se sont mêlées aux jeunes qui documentent tout.

Le shitstorm sur les médias sociaux chinois a été encore plus important que le tollé de la communauté mondiale.

Tu as dû quitter ton poste à Pékin et tu es maintenant de retour au Xinjiang.

Les Ouïghours, au moins, se souviennent encore de toi.

Chaque fois que tu penses à la débâcle de Tian An Men, tes vieilles terreurs reviennent.

Tu as constamment peur de te faire planter un couteau dans le dos par un étudiant en colère, même si tu sais que la Chine est un pays civilisé.

Tu crois toujours avoir fait ce qu’il fallait il y a un an.

C’était dur pour les manifestants, mais au moins, le Parti a gardé le contrôle pour le moment.

La population est sous contrôle, la croissance économique est stable et grâce au nouveau plan climatique quinquennal du parti, le changement climatique sera lui aussi bientôt sous contrôle.

Que demander de plus?

Les représentants des conseils locaux et des partis débattent d’une meilleure protection des grandes villes côtières de Chine, menacées par les inondations.

Le programme de protection du climat du parti au pouvoir – les féministes écologistes – est mis à mal par le parti de l’ordre confucéen – et c’est toi qui présides.

Jamais tu n’aurais pensé que le parti pourrait céder le pouvoir sans perdre la face et plonger le pays dans le chaos.

Les Etats-Unis ont vu leur chance et ont tenté d’intervenir, la situation menaçait de dégénérer.

Mais ensuite, les conseils municipaux se sont formés, différents camps politiques se sont formés et le parti communiste a pour la première fois autorisé d’autres opinions politiques lors des élections.

Désormais, la Chine a une démocratie chinoise avec laquelle tout le monde peut s’entendre. Grâce au nouveau sens des responsabilités dans la société, la corruption a fortement diminué.

Le terrorisme est un mal du passé, car depuis que les minorités peuvent participer au gouvernement, elles ne voient plus de raison de fabriquer des bombes.

En tant que président de la Nouvelle République populaire de Chine, tu es fier de ton pays.